Supposons qu'on souhaite – personne ne nous retenant hélas plus – traverser la Gironde, soit pour se rendre du Médoc à la rive est, soit pour en revenir. On pourrait prendre le ferry-boat avec une pensée pour le capitaine Félix Escartefigue, après avoir attendu qu'il (le ferry) ait recraché son précédent repas.

Medoc-Gironde2_1.jpg

Il ravale ensuite de nouveau des automobiles et les enfouit dans ses antres en régurgitant dédaigneusement les humains dans ses superstructures.

Medoc-Gironde2_2.jpg

Une côte s'éloignerait alors,

Medoc-Gironde2_3.jpg

tandis qu'on se renseignerait sur la conduite à tenir en cas de naufrage. Premièrement se frotter les mains (?!). Puis étudier attentivement le sens de la figure 2 (?!) :

Medoc-Gironde2_4.jpg

La suite de la procédure coule de source (?!) :

Medoc-Gironde2_5.jpg

Mais, sans sombrer, le ferry s'approcherait de l'autre rive :

Medoc-Gironde2_6.jpg

et irait s'y amarrer :

Medoc-Gironde2_7.jpg

Si l'on s'en revenait de Saintonge vers Médoc, il suffirait alors de traverser la terre jusqu'à l'Atlantique pour aller casser la croûte face aux Amériques et au soleil déclinant à l'ouest.

Medoc-Gironde2_8.jpg

Mais si on traversait du Médoc vers l'outre-Gironde, on rencontrerait une côte de falaises blanches qui court avec quelques interruptions de la pointe de Suzac, au sud de Royan, jusqu'à Mortagne-sur-Gironde, à vingt-cinq kilomètres vers le sud-est. Sur l'une de ces falaises est l'église romane Sainte-Radegonde de Talmont-sur-Gironde. Rappelons que Radegonde de Poitiers (520-587) était la bru de Clovis par son mariage – malgré une tentative de fuite – avec le roi franc Clotaire 1er ; mariée, elle fuit encore son époux – polygame et meurtrier – qui l'aurait rattrapée, ne fut-ce le "miracle des avoines" qui, poussant subitement dans le champ où elles venaient d'être semées, la camouflèrent.
L'église a été construite au XIIe siècle sur une avancée de falaises calcaires.

Medoc-Gironde2_9.jpg

Toute romane qu'elle fût, cette église a été dotée au XIVe siècle d'un portail gothique dans l'axe de la nef. C'est que, l'érosion aidant, deux travées de la nef churent en mer, raccourcissant l'ouvrage et obligeant à en reconstruire l'accès. Subsiste néanmoins du XIIe un autre portail, au nord, ouvrant sur le transept.

Medoc-Gironde2_10.jpg

En haut, deux rangées de cinq hommes, l'une à droite, l'autre à gauche, tirent vers le centre des monstres (lions ?) aidés par un personnage central peu visible qui tire de chaque côté. La voussure centrale figure deux échelles humaines acrobatiques reposant au centre sur une forme indiscernable. En bas, l'agnus dei, entouré d'un cercle, reçoit des offrandes.
Jouxtant l'église, le cimetière en jachère, en attente de reprise des concessions abandonnées, donne un aspect fleuri des plus riants aux tombes et cénotaphes qui l'occupent.

Medoc-Gironde2_11A.jpg Medoc-Gironde2_11B.jpg

Par ailleurs, le petit village de Talmont prend des airs d’île de l'Aunis, Ré ou Oléron,

Medoc-Gironde2_12.jpg

et sait aussi illustrer le style "rocaille de ciment".

Medoc-Gironde2_13.jpg

Chacun sait que la Gironde est un estuaire qui donne accès à la Dordogne et à la Garonne, à Bordeaux et à la Guyenne. C'est tentant. Les Vikings n'y résistèrent pas, qui s'y introduisirent aux IXe et Xe siècles.
Un peu plus tard, en 1630-1634, Louis XIII décida de contrôler l'accès à Bordeaux par la Gironde en édifiant une forteresse moderne à Blaye, s'appuyant sur le médiéval château des Rudel. Malgré une seconde campagne de travaux en 1650-1652, ce fut insuffisant, les trois kilomètres de largeur de la Gironde à cet endroit ne permettant pas de la couvrir par les canons d'alors, et décourageant l'installation de chaînes.
Trente ans après, Vauban prend les choses en mains. En 1685, il propose à Louis XIV par l'intermédiaire du marquis de Seignelay, fils de Colbert, secrétaire d'État de la Marine comme papa, un Grand dessein : verrouiller la Gironde par trois places fortes disposées sur une ligne transversale, l'une à Blaye sur la rive droite, l'autre à Cussac sur la rive gauche, et la troisième entre les deux, sur une île "qui a commencé de se former depuis quinze ou seize ans". Ce sont la citadelle de Blaye, Fort Médoc à Cussac et Fort Pâté sur l’île. On appelle cet ensemble "le verrou de l'estuaire". En voici le "Plan général des affermages" :

Medoc-Gironde2_14.jpg

L'élément principal du dispositif est Blaye. Vauban en justifie les grands frais de réaménagement et de reconstruction ainsi : "Une telle place ne peut être qu’utile et nécessaire dans un pays remuant où il y a grand abord d’Anglais et d’Hollandais, gens de religion contraire à la nôtre". Il ajoute que Blaye pourra aussi surveiller Bordeaux "qu’elle tiendra dans le devoir par les moyens prompts et faciles qu’elle peut contenir en soi, s’il lui arrivait de faire la bête". La citadelle occupe une vaste zone s'étirant en demi-cercle sur environ cinq-cents mètres le long de la Garonne, et sur une profondeur d'environ deux-cent-cinquante mètres dans les terres.

Medoc-Gironde2_15.jpg

Elle est plus grande que les citadelles de Besançon, de Saint-Martin-de-Ré ou de Port-Louis et rivalise en surface avec l'intra-muros de Saint-Malo, en nettement moins dense. Elle renferme néanmoins dans ses remparts six rues bordées de maisons, le vignoble de l'échauguette, un camping et les ruines du château des Rudel que Vauban avait aménagé comme résidence des gouverneurs du lieu, sans compter les bâtiments militaires, arsenal, poudrière, casernements, bastions, etc.

Medoc-Gironde2_16.jpg

Sur son pourtour, elle est protégée par des "demi-lunes" dont on s'échappe par un "pas-de-souris", et des "contre-gardes", fortifications avancées en forme de "V" pointées vers l'extérieur et entourées de fossés franchissables seulement par des ponts, le tout cerclé d'un "glacis", espace tampon dégagé, en légère pente vers l'extérieur.
Une visite nous laisserait voir aussi des échauguettes,

Medoc-Gironde2_17.jpg

des canons pointés vers l'ennemi maritime,

Medoc-Gironde2_18.jpg

et des toilettes extérieures, "à la turque".

Medoc-Gironde2_19.jpg

Sur l'autre rive de la Gironde, Fort-Médoc est la même chose en plus modeste.
Admettons qu'on y accéderait par la porte Royale.

Medoc-Gironde2_20.jpg

Une fois entré par cette porte, on se retrouverait dans un vaste espace s'étendant jusqu'à l'estuaire avec, au centre, le corps de garde défendant la Gironde et, à droite et à gauche, les restes des casernes.

Medoc-Gironde2_21.jpg

Après avoir traversé tout cet espace central en direction de la Gironde, si on se retournait vers le côté terre, on verrait le corps de garde de la porte Royale, qui logeait en son étage le gouverneur de la place.

Medoc-Gironde2_22.jpg

Dans un emplacement reculé, le magasin à poudre est une sorte de maison aux murs très épais renforcés par de puissants contreforts, entourée d'un mur d'enceinte : on craignait autant les explosions que les vols.

Medoc-Gironde2_23.jpg

Complétant le "verrou de l'estuaire" par sa position intermédiaire entre les places fortes de chaque rive, Fort Pâté se cache derrière les arbres de cette petite île :

Medoc-Gironde2_24.jpg

Si, naviguant, on la frôlait, on ne discernerait, en regardant bien (mais invisible sur la photo), que le haut d'un toit de maison en tuiles. Il est très regrettable que l'État ait vendu l’île et son fort en 1948 à un notaire et que la famille de celui-ci s'en soit séparé en 2015 (mise à prix via Sotheby's : 428 000 €), car ils ne se visitent pas, malgré l'intérêt architectural du fort. Sur un double "grillage" de bois servant de radier est élevé un puissant mur quasi-circulaire de douze mètres de haut, percé de trente-deux meurtrières. Derrière ce mur, circulaire elle-aussi, est une salle unique entourant la poudrière, en position centrale. Au-dessus de la poudrière se trouve la "maison" dont seule la toiture dépasse des murs d'enceinte. Elle contient le corps de garde, une cuisine et deux petites salles. De la terrasse qui l'entoure, on pouvait aussi canonner l'ennemi, de quelque part qu'il survienne car les arbres étaient moins hauts, de ce temps-là.

Au sud-est de Blaye, passé le bec d'Ambès et les cuves de son dépôt d'hydrocarbures, Bourg – qu'on appelle communément "Bourg-sur-Gironde" – possède un petit embarcadère sur la Dordogne où rouille une épave, et un joli lavoir couvert, sous une forte charpente.

Medoc-Gironde2_25A.jpg Medoc-Gironde2_25B.jpg


Passâmes-nous réellement sur la rive droite, vîmes-nous, de nos yeux vu, ces touristiques beautés, ou bien les rêvâmes-nous ? Bien malin qui en saurait trancher.