L’île de Maguelone, au large de Montpellier, a vu le jour au pliocène, il y a quelque 4 millions d’années par l’effet d’un pet de lave dans l’eau qu’on appelle « éruption surtseyenne », du nom de l’île de Surtsey, la dernière des iles Vestmann, qui s’est formée entre 1963 et 1967 du côté de l’Islande.
Plantée entre l’étang de Vic et l’étang de l’Arnel, deux des stagna Volcarum relevés une trentaine d’années avant la monumentale Naturalis Historia de Pline l’Ancien par Pomponius Mela (De situs orbis, Livre II, chapitre V « Gallia Narbonensis »), étangs qui ne sont séparés de la baie d’Aigues-Mortes que par une mince langue sableuse, cette île, depuis le moyen-âge, n’en est plus une : au nord, le long pont médiéval longé par une jetée de pierre pour attelages a été remplacé par une passerelle flottante qui franchit le canal du Rhône à Sète, creusé dans les étangs, tandis qu’au sud, des remblais ont permis d’établir deux chemins à partir de la plage sur une distance d’environ 600 mètres, donnant un accès pour piétons au site.

On est accueilli par une croix de chemin qui donne le ton : dès l’antiquité tardive – soit entre 300 et 600 après J.C. – une grande église funéraire de 52 par 31 mètres hors tout, aujourd’hui arasée, regroupait au sommet de l’île plus de quatre-vingts tombes. Autour de cette église se trouvait un village et, au sud, un petit port.

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Si on en croit Gédéon Pontier (Le Cabinet, ou Bibliothèque des grands, chez Jean Pohier, Paris, 1689, tome I, p. 175) ou Charles Dégrefeuille (Histoire de la Ville de Montpellier, Montpellier, chez les sieurs Rigaud, 1739 , seconde partie,
p. 3), Maguelone avait dès l’an 451 un évêque répondant au doux nom d’Éthère, signataire cette année-là d’une lettre des évêques au pape Léon 1er le Grand.
Éthère est cruellement ignoré par le tout-internet qui opine que le premier évêque de Maguelone serait Boèce, convoqué en 589 au concile de Tolède par le roi wisigoth converti Récarède 1er, dit « le catholique ». Cependant, d’après Dégrefeuille, l’évêque Vincent I succéda à Éthère, puis Viator à Vincent I, puis seulement vint Boèce. Ensuite, après un nommé Geniès, l’évêque de Maguelone Gumild accompagna le prince Paul dans sa révolte contre le roi wisigoth Wamba. Mais Wamba leur mit la pâtée et les envoya en tôle, à vie, les yeux crevés. Là-dessus, Wamba nomma Vincent II évêque de Maguelone. Ça se passait en 673.
La chance de Vincent II fut de courte durée : les Sarrasins attaquaient de toutes parts, d’Espagne jusqu’outre Pyrénées, et en Méditerranée. Ils ne trouvèrent rien de mieux pour accéder au Languedoc que de passer par le grau de Maguelone et d’établir l’île en place forte. Et ils agrandirent le port qu’on appela « Port Sarrasin ». Mais Charles Martel ne l’entendait pas de cette oreille. Après avoir, comme chacun sait, « repoussé les arabes à Poitiers en 732 », il poursuivit les envahisseurs musulmans vers le Sud et le Languedoc, où il fit détruire leurs forteresses d’Agde, de Béziers et, bien sûr, de Maguelone. Tout y fut rasé en 737, et les habitants, l’évêque et le clergé durent se retirer dans les terres, à Substantion, une ville d’origine romaine (Sextantio ou Sexta Statio) maintenant disparue sous les constructions périphériques de Castelnau-le-Lez.
Ils y restèrent trois cents ans, jusqu’à ce que l’évêque Arnaud décide en 1033 de rebâtir une cathédrale à Maguelone, et d’y reloger des chanoines.
De cette nouvelle cathédrale, consacrée en 1054, il ne reste que la chapelle Saint-Augustin et la tour qui la surplombe, sur la façade sud. Les autres parties du bâtiment actuel datent des XIIe et XIIIe siècles. Les ouvrages annexes – cloitre, cuisine, réfectoire, dortoirs, buanderie, hôtellerie, paneterie, aumônerie, hospice, chapelles, collégiale, fortifications – ont presque totalement disparu à la suite de l’attraction croissante de Montpellier sur les prélats au XVe siècle puis, plus radicalement, par la démolition de toute la place, église exceptée, par les ordres de Richelieu et Louis XIII, en 1632, afin d’éviter que les factieux ne s’y réfugient.

De nos jours subsistent donc cette cathédrale romano-gothique, restaurée au XIXe siècle, et la ruine de la tour de l’évêque (à gauche).

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Des paons et paonnes, en majorité blancs, se promènent à l’emplacement du cloitre détruit, souvenirs des éventails en plumes de paon qu’on déployait autrefois au passage du pape :

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La porte principale du monument est entourée de deux bas-reliefs de marbre blanc représentant les dédicataires de la cathédrale, à droite, saint Pierre avec sa clé dans une main, les évangiles dans l’autre, et à gauche, saint Paul avec son épée et ses épitres. Le linteau où sont gravés le texte d’une exhortation morale et la signature de l’auteur, Bernard de Tréviers, donne la date de l’œuvre : 1178.

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À l’intérieur, la nef, dont la première partie est rabaissée pour soutenir la tribune des chanoines, est d’une sobre élégance :

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Vue du chœur, la tribune des chanoines, au-dessus de l’entrée :

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Le chœur, lui, bénéficie de toute la hauteur du monument :

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Devant le chœur, le sol est entièrement couvert de tombes, à plat ou en relief, d’évêques :

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Un escalier mène à la tribune des chanoines qui, eux, y avaient un accès direct de plain-pied à partir de leurs appartements, sans passer par l’église.

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La tribune est éclairée par des baies profondes percées dans les murs, décorées de colonnes à chapiteaux sculptés :

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En bas, dans une des chapelles latérales (la chapelle du Saint-Sépulcre), se trouve ce sarcophage wisigoth
du Vie siècle :

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D’aucuns disent qu’il s’agirait du tombeau de « la belle Maguelonne », cette amoureuse héroïne d’un roman courtois attribué par Robert Favreau (Les Inscriptions médiévales, dans Auctor et Auctoritas, Actes du colloque de Saint-Quentin-en-Yvelines (14-16 juin 1999), École des chartres, 2001, p. 58-59) à Bernard de Tréviers, l’auteur du portail de la cathédrale. Ce roman, très populaire au moyen-âge, a été amplement diffusé à partir du XVe siècle sous des titres variables, dont l’un des plus anciens (vers 1486) est « La belle Maguelonne - Istoyre du vaillant chevalier Pierre filz du conte de Provence et de la belle Maguelonne fille du roy de Naples ».

C’est une romantique et poétique légende dont je vous conseille vivement la lecture (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k70535f/f2.image). On y côtoie des « tournoiments et joustes », de « nobles
amys », des « cueurs douloureux » et autres merveilles, et surtout un « tant grant singuliere amour ». Les moins courageux, qui n’oseront pas se plonger dans le déchiffrage des caractères d’imprimerie des anciens livres, pourront se rabattre sur le résumé faible en saveurs qu’en donne Wikipedia (article « Légende de la belle Maguelone »).

Mais quittons ces époques lointaines et les étangs de Maguelone :

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pour nous retrouver, 4 km vers l’est, de nos jours, à l’hyperréaliste Palavas-les-Flots :

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Hyperréaliste, Palavas est la ville des faux-fuyants et d’une sorte de « réalité augmentée ». On croit voir, mais c’est autre chose, c’est plus…

Ainsi, ce champignon futuriste qu’on appelle « Phare de la Méditerranée » n’est, à l’origine, qu’un château d’eau construit en 1942-1943, dont on a ôté le réservoir pour le remplacer par une galerie-promenade et un restaurant tournant et qu’on a rhabillé, en 1998-2000, en y insérant des logements et des bureaux.

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Sa base contient, sous le vocable moderniste de « palais des congrès », un amphithéâtre et une salle de conférences qui supplée à l’ancienne :

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Mais ce n’est pas tout. L’ancien château d’eau aujourd’hui intégré au Phare de la Méditerranée contenait lui-même un vieux fortin de 1744. Étonnant, non ? D’autant que ce fortin, avant la construction du château d’eau, avait lui aussi été bidouillé et décapité pour servir de base à un premier réservoir d’eau.

Si on passe sur les arrières de la ville, on n’en croit pas ses zyeux : on retrouve ce fortin qui avait été avalé par le château d’eau, fièrement nommé « Redoute de Ballestras », en plein milieu de l’étang du Levant :

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C’est l’effet d’un tour de passe-passe. Pendant les travaux de transformation du château d’eau en Phare de la Méditerranée, on a démonté pierre à pierre les restes du fortin qu’il camouflait, et on les a remontés sur une petite île de l’étang, pour faire un beau fortin du XVIIIe siècle tout neuf. À l’intérieur du fortin a été établi un musée dédié à l’œuvre d’Albert Dubout (1905-1976), caricaturiste humoriste, dont les dessins de grosses dondons ont amusé mes huit ans.

Dans l’église de Palavas, l’église Saint-Pierre, construite en 1896, avec son joli bout rouge :

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on trouve un Saint-Pierre debout dans sa barque de pêcheur du lac de Tibériade, qui s’en va en mer chaque année en procession, début juillet, à l’occasion de la Fête de la mer :

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Mais surtout repose, enchâssé, le corps de sainte Florence d’Agde, morte le 10 novembre 304, martyrisée en compagnie de Tibère et Modeste.

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La suscription (au sens étymologique du terme) indique qu’il s’agit du « corps de sainte Florence (...) porté
de Rome… ». Carrément. On (l’internet) nous dit que « ses reliques ont été amenées (sic) à Palavas en 1899 sur le yacht de la famille Faulquier depuis le monastère des cisterciennes d’Agnani, en Italie ».

Certes, Agnani est à environ 60 km à l’est de Rome. Mais l’abbaye bénédictine (on sait que l’ordre cistercien est dérivé de l’ordre bénédictin) de San-Pietro-di-Villamagna, à Agnani, a été supprimée et intégrée en l’an 1297 à la cathédrale d’Agnani par le pape Boniface VIII. La ruine en 1478 et l’incendie en 1498 détruisirent presque tout ce qui restait alors de l’abbaye. De plus, des reliques de sainte Florence se trouvaient encore en France en 1652, non loin de Palavas, à Saint-Thibéry (cf. Genviève Durand, L’abbaye bénédictine de Saint-Thibéry (Hérault), dans Archéologie du Midi médiéval, tome 22, 2004, p. 172), où elles étaient conservées depuis le XIIe siècle (ibid. p. 146).

Alors, qu’ont ramené les Faulquier sur leur yacht ? Le corps ? Mais ce n’est ni un corps, ni des reliques : le corps est un gisant de cire !

En plus de ces beautés,
Palavas nous expose,
Au bout de ses jetées,
D’autres œuvres grandioses.
(J.F., 2018)

- Un christ en croix tout noir, grandeur nature, du sculpteur Eugène Perrier (1906-1985), érigé avec le concours du menuisier de Palavas, S. Maliver, qui s’est servi du bois des établissements Mary, de Montpellier :

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- Un groupe figurant « L’espoir » inauguré en 2014, dû à Nella Buscot, dont un passant m’a dit : « Ça y est ! ils ont enfin trouvé le casino de Palavas ! » :

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- Et un pêcheur de métal tirant ses filets de la vraie mer, dont j’ignore tout car, saturé d’esthétisme, j’ai renoncé à faire le tour du port pour le voir de plus près :

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En partant, voyons ce télésiège. Non, il ne grimpe pas le long de pentes neigeuses : il n’est là que pour traverser, moyennant finances – et pas pour des clopinettes –, le grau de Palavas.

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Puis je suis rentré chez moi, songeant à la « réalité » des choses vues, de la belle Maguelone jusqu’au pêcheur.

Bises.


d.