Par les beaux jours de la mi-novembre, on peut être bien inspiré d’aller à la mer, et plutôt deux fois qu’une, par exemple au Grau-du-Roi.
Sauf pendant les périodes de vacances où les touristes sont beaucoup plus visibles, le Grau-du-Roi est surtout une ville de pêcheurs et de jouteurs, les uns pouvant se confondre avec les autres :

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Les pêcheurs pèchent toute sortes de bons poissons, mais aussi du poulpe, dont les cuisiniers et cuisinières locaux font une « rouille graulenne », poulpe et pommes de terre enrobés dans une sorte d’aïoli. On peut en manger en s’attablant à la terrasse d’un des nombreux restaurants qui bordent le « grau ».

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« Grau » est le nom occitan du chenal où se garent les pêcheurs et où joutent les jouteurs, notamment en juin au tournoi de joute de la Saint-Pierre.
Les jouteurs sont perchés sur la « tintaine » accrochée en porte-à-faux, trois mètres au-dessus de l’eau, à la poupe de lourdes barques, « la rouge » s’opposant à « la bleue ». Aux accords enjoués de la « peña », l’une barque s’élance vers l’autre – et réciproquement – de toute la puissance de sa dizaine de rameurs, menés par leurs deux barreurs. Protégé par son pavois, chaque jouteur n’a qu’un but pendant la passe : jeter à l’eau son adversaire d’un coup de lance sans choir lui-même.

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Certains pêcheurs pratiquent la pêche à pied pour récolter de beaux coquillages, puis les disposer autour de leurs fenêtres :

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Cet art décoratif brut est ici – et c’est exceptionnel dans ce style – non foisonnant, non expansif, mais rigoureusement organisé :

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D’autres exposent le port sur leur maison :

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D’autres encore mettent carrément un dauphin géant au sommet de leur façade (notez aussi les beaux créneaux du donjon, sur la droite) :

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Cette « maison du dauphin » tourne sa façade delphinée vers le port, mais n’y met point de porte, préférant la reporter sur sa façade latérale, donnant sur une petite place ombrée de platanes, derrière une grande croix de mission au pied de laquelle on pouvait encore lire, il y a cinq ou six ans, l’inscription figurant sur la croix apparue à l’empereur Constantin lors de son voyage des Gaules à Rome pour y aller noyer Maxence dans le Tibre (cf. Alexandre Dumas, Œuvres complètes, Impressions de voyage, Le Midi de la France, Tome 2, Nouvelle édition, Paris, Calmann-Lévy, 1887, p. 71) : In hoc signo vinces (« Par ce signe, tu vaincras »).

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En vis-à-vis de la façade à porte, de l’autre côté de la placette, se tient l’église Saint-Pierre, construite il y a juste cinquante ans, en 1966-1967, par un architecte que je n’ai pas réussi à identifier malgré des recherches serrées. Talentueux, l’architecte, si je peux me permettre d’émettre, avec la modestie requise, un jugement :

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Le clocher très ajouré s’inspire des clochers des petites chapelles traditionnelles du coin, et la croix blanche masque sa découpe identique dans le mur, par laquelle le jour s’introduit pour créer, à l’intérieur, une croix lumineuse :

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Le mur longeant le quai du port est coloré par de jolis petits vitraux ondoyant, dans des baies dont la réalisation technique a dû poser un petit problème : comment juxtaposer des trous à touche-touche dans un mur ? Sachant que les embrasements (ou "ébrasements", ou "ébrasures", ou "embrasures") sont identiques sur la face externe du mur, il s’ensuit que, vus en coupe horizontale, des losanges se dessinent entre chaque baie. Certes la charge au-dessus de la rangée de baies n’est pas bien lourde, le poids du toit étant repris principalement par des jambes de force soutenant les arbalétriers et les entraits, jambes de force renvoyant la charge dans le mur par les corbeaux qui bloquent leur extrémité, sous la ligne des baies. Néanmoins, si ce n’avait été que de moi, j’aurais volontiers passé un acier verticalement dans les losanges, avant de couler ! Histoire de rigidifier.

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Un peu plus loin, sur le quai, le « Vieux phare » date de 1828 :

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Et encore plus loin, on rejoint la mer en face de laquelle se tient la « villa des Dunes », ou « Villa Parry », du nom de Ferdinand Parry, un propriétaire rentier qui la fit construire en 1899. Imaginait-il que l’angelot trompettiste et ailé de l’épi de faîtage tournerait le dos à un goéland ailé et pleurant (ou raillant) ?

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La côte forme une baie qui se prolonge au sud-ouest jusqu’à Sète et Agde.

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Plus proches se distinguent les immeubles balladuriens de la Grande-Motte :

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Les Graulens savent que tout ce qu’on a vu ici ne reflète que quelques-unes des beautés de leur ville, et toutes uniquement situées sur la « rive droite ». Mais de la « rive gauche », nous n’avons vu que ces canards qui ne se gênent d’ailleurs pas pour passer sur l’autre rive quand bon leur semble, sans attendre que le pont tournant soit en position de permettre le franchissement transversal du chenal :

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Bises.


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