Il était une fois un petit village du nom de Caderousse, sur la rive gauche du Rhône, en vis-à-vis du village de Montfaucon dominé par son imposant châtiau tout ce qu’il y a de médiéval, bien que très remanié à la fin du XIXe, non accessible et non visitable, planté sur un éperon rocheux au sommet de la colline où est le village de Montfaucon.

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(Parenthèse : Montfaucon peut aussi s’enorgueillir d’une autre intéressante construction, énigmatique celle-là :

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Refermons soigneusement cette parenthèse).

Caderousse, lui, n’a pas de colline, encore moins d’éperon rocheux. Il est tout raplapla. Tant et si bien que chaque fois que les flots impétueux du Rhône se ruaient au-delà des berges, Caderousse était inondé, ce qui arriva en 1226, 1353, 1471, 1543, 1549, 1622, 1679, 1710, 1713, 1735, 1755, 1827, 1840, 1856, 1868, 1910, 1914, 1935-36, 1937 et 2003, et j’en omets sans doute. Et, à partir de 1755, les habitants notaient à l’aide de plaques apposées sur le mur de leur mairie récemment édifiée (1752) la hauteur des inondations les plus notables.

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Contrairement à ce que la photo pourrait laisser croire, le magnifique campanile n’est pas derrière la mairie, mais planté dans le toit d’icelle. De part et d’autre du « RF », deux inscriptions :

À gauche :

ÆRE PUBLICO

FUNDITUS

REÆDIFICABATUR

ANNO

MDCCLII

À droite :

CONSULIBUS

BD

JOS BL (Joseph Blaise) BERBIGUIER

LT

HIER (Hieronymus = Jérôme) RAYMON

Ce qui signifie en gros « entièrement reconstruit sur des fonds publics en 1752 par les consuls* Joseph Blaise Berbiguier et Jérôme Raymon ».

(* un consul était, sous l’ancien régime, un magistrat municipal).

À gauche de la porte de la mairie, les plaques des inondations montrent que ça n’allait pas en s’arrangeant. De bas en haut, au-dessus des horaires d’ouverture au public :

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HUCUSQUE

PERVENIT

RHODANUS

PRIOR (Illisible : AI ?) DECEM

XDCCLV

Chacun comprendra aisément cette inscription relative à l’inondation des 30 novembre et 1er décembre 1755.

Au-dessus :

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Puis :

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Et enfin, tout en haut :

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Après la catastrophique inondation de mai 1856 qui submergea de trois mètres le plancher de la mairie, renversa 15 maisons, en endommagea 36 et en inonda 441, les habitants multiplièrent les processions, revêtus de leurs plus beaux atours :

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En vain. Heureusement survint alors Napoléon III, qui n’écoutant que son courage, s’en fut visiter les villes ravagées : le 1er juin 1856 : Dijon, puis le 2 : Lyon, et le 3 : Avignon, Beaucaire-Tarascon et Arles. Dès son retour, il prit des mesures énergiques pour éviter de tels dégâts. Pour Caderousse, le plan fut de remplacer la vieille digue de terre de 7,50 m. de haut par rapport à l’étiage du Rhône, datant de la nuit des temps et emportée en 1470, en 1755 et en 1827, par une digue-enceinte plus haute (9 m.) et plus solide, entourant tout le village, suivant le plan des ingénieurs Rondel et Kleist :

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Ce qui fut dit fut fait.

La digue-enceinte vue de l’extérieur :

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Et vue de dessus :

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L’enceinte est franchissable par deux portes prudemment situées à l’opposé du fleuve et pouvant être protégées par des batardeaux. L’une des deux est équipée de deux rangs de bancs alignés, disposés en vis-à-vis, pour favoriser la conversation :

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Le village, ainsi protégé bien qu’encore inondé régulièrement jusqu’en 2003, peut tranquillement dévoiler ses charmes.

Ses rues :

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Ses places :

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Les bribes d’architecture ancienne de la « Maison d’Ancézune », ou « Château vieux » (XIIe siècle) :

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Le presbytère où Hervé Monjaret assurait clandestinement les émissions radio de Jean Moulin vers Londres entre janvier et juin 1942 :

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L’église Saint-Michel (XV-XVIe siècles) :

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Le clocher de l’église est situé à l’arrière, ainsi que le greffon de style anglais (liernes et tiercerons à l’intérieur) - incongru ici - que constitue la chapelle gothique flamboyant Saint-Claude, dite d’Ancézune (XVIe siècle) :

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Ce petit village enfermé de Caderousse peut aussi s’enorgueillir de posséder une gidouillesque machine datant du début du XXe siècle :

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Construite par Farcot Frères et Cie, au port de Saint-Ouen, spécialiste des machines à vapeur et des pompes en tous genres, celle-ci était une pompe centrifuge. La maison Farcot avait été fondée en 1823 par le célèbre inventeur Marie-Joseph-Denis Farcot (1798-1875). Son fils, Joseph Farcot (1824-1908) lui succéda à la direction de l'entreprise en 1869 et poursuivit ses activités secondé par ses propres fils, Paul (1850-1941) et Augustin (?-1933) qui prirent sa suite jusqu'à la vente de l'entreprise en 1915.

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Le soleil allait bientôt se coucher, me contraignant à sortir de l’enceinte-digue et à prendre le chemin du retour, longeant des bras du Rhône :

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pour finir en carte postale :

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Bises.


d.