Voici déjà vingt mois, j’avais été intrigué par le titre d’une promenade intitulée : « Les Caisses de Jean-Jean », proposée par la Gazette. Je me suis récemment résolu à y aller voir, mais il m’a fallu m’y reprendre à deux fois… Je m’en vais vous espliquer tout ça mais, d’abord, en bon onomasticien(ne) toponyme, vous vous demandez comme moi ce que peut bien recouvrir un tel nom.

Ce qu’on nomme les « Caisses de Jean Jean » (sans trait d’union, suivant l’IGN) sont, prêtez-moi bien votre attention, deux arêtes rocheuses d’environ 2 kilomètres de longueur, courant d’ouest en est, situées au cœur des Alpilles entre Maussane et Mouriès. Ces deux arêtes ne sont pas tout à fait parallèles. À l’ouest, elles sont écartées l’une de l’autre d’environ 300 mètres, alors qu’à l’est, elles se rejoignent, refermant l’étroite plaine qui les sépare. Elles sont très abruptes et dominent les terres environnantes de près de 100 mètres de haut.
Tout d’abord, on peut exclure qu’ici « caisse » se réfère au langage populaire pour « voiture ». De même, l’expression sportive « avoir la caisse », bien qu’utilisée par les trekkeurs et qui signifie en gros « avoir du souffle, avoir un cœur costaud », visant la cage thoracique, n’a pas grand-chose à voir avec ces « Caisses ».
Si on se reporte au Dictionnaire Provençal-Français par S.-J. Honnorat (tome premier - 1847), on hésite entre :
- « cassa » ou « caïssa» qui, outre « caisse » au sens de boîte, peut aussi s’appliquer à une fracture, une brisure, comme les découpes des rochers formant les deux arêtes,
et
- « caïs » qui signifie la mâchoire ou les dents (« a bel caïs » = à belles dents), comme les deux arêtes se rejoignant peuvent faire penser, vues d’avion, aux deux mâchoires d’une bouche ou d’une gueule, hérissées de dents. Cependant, remarquons que les « Caisses de Servanne » (orthographe IGN), situées à environ 600 mètres au sud des Caisses de Jean Jean, ne sont constituées que d’une seule arête rocheuse…
Quant à « Jean Jean » ou « Jean-Jean », le mot est généralement utilisé pour parler d’un jeune homme simplet, surtout un conscrit. C’est aussi le nom d’un personnage de la BD Lou ! (demander à Salomé !) et un nom de famille français assez répandu. Il pourrait aussi s’agir du premier propriétaire connu de cette zone, un nommé Jehan, fils de Jehan, d’où Jean Jean, suivant le site www.randomania.fr. Va savoir…

Là-dessus, en voiture pour les Caisses de Jean Jean !
Vendredi dernier, je me gare donc le long de la petite route, à l’ouest des Caisses, comme indiqué par l'itinéraire de la Gazette. Une flèche me confirme l’exactitude de l’emplacement, bien que visant le nord, alors que je souhaitais le sud.

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Là, l’itinéraire me dit de « pénétrer dans la propriété privée (à gauche) ». Mais il y a là deux chemins, chacun pourvu d’une boîte aux lettres, signe de privatitude. Obéissant, je prends celui de gauche, et je marche dans une belle olivette. Je marche, je marche, observant les alentours, ce qui me permet de constater, après environ 1 km, que je me trouve au pied de l’arête nord, et non de l’arête sud voulue. Rebroussage de chemin, et déjà 2 km pour rien… Retour à la ouature. Ce coup-ci, je prends l’autre chemin, et les lieux semblent mieux se conformer à la description suivante de l’itinéraire.
Me voici enfin au départ ouest de l’arête sud des Caisses de Jean Jean.

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Pour bénéficier du soleil, j’avais prévu de passer par la face sud de l’arête sud, et de revenir, une fois réchauffé par la marche, par la face nord de cette arête sud. Donc, je pars à droite.
Je m’élève progressivement au-dessus du golf de Servanne, parmi les thyms, les romarins (en fleurs), les cistes, les globulaires, les genêts, les pins, les yeuses, mais pas les orchidées parce que ce n’est pas la saison :

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sur des chemins qui n’en sont déjà plus : entre les cailloux et les cailloux, lesquels sont un chemin ?

Je poursuis, cherchant à me rapprocher des falaises que forment les rochers à ma gauche et, si je me retourne, voilà ce que je vois :

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Rêvant d’être un bouquetin – voire même une éterle ou une étagne – ou un dahu plutôt qu’un vieil humain sur le retour, je crapahute entre précipice à droite et parois abruptes à gauche :

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où des escaladeurs ont vu la vie en rose, comme Édith Piaf ou Louis Armstrong :

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Parmi les roches nettement découpées qui m’environnent, je ne parviens pas à voir ce que l’itinéraire appelle « des vestiges de fortifications », des « ruines » qu’il me faudrait « contourner par le haut ».
En désespoir de les trouver et devant « les contourner par le haut », je continue au plus près des falaises. Escaladant toujours plus haut et vers l’est, je me retrouve en fin de compte à un magnifique cul-de-sac :

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Ce semblant de passage :

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se termine malheureusement trop à pic pour moi :

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et la seule issue possible me fait passer malgré moi de l’adret à l’ubac :

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sans avoir pu arriver à l’extrémité est de cette arête sud, là où elle rejoint l’arête nord, et là où se trouve un oppidum.

Redescendu dans la vallée parmi les glands des chênes faux-houx griffant mon futal :

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il est plus que temps de s’en retourner par le bon chemin qui me tend les bras, admirant au passage le soleil couchant éclairant les crêtes :

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Mais il sera dit que je suis aussi têtu qu’une vieille mule montagnarde. Et dès hier mardi, j’y suis retourné, attaquant cette arête sud des Caisses de Jean Jean non plus par l’ouest, mais par l’est.

Par là, le chemin se distingue bien, au début en tous cas, et on voit qu’il grimpe vers la droite en direction du « collet belvédère sur les pinces calcaires des Caisses », comme dit l’itinéraire. C’est bien le chemin que j’ai manqué vendredi dernier.
Mais je ne reculerai pas devant la recherche des « vestiges de fortifications » que j’aurais dû aussi trouver la dernière fois. Alors je ne grimpe pas outre mesure et m’engage à gauche dans des chemins qui n’en sont pas :

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dans ces étonnants paysages où on peut saluer ce profil d’homme qui fait la gueule :

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Ayant rejoint à rebours, puis dépassé, mon avancée de l’autre jour, mais à une moindre altitude, j’observe chaque rocher, y cherchant les ruines, vestiges de fortifications, promises :

En serait-ce ici ?

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Après avoir trimardé plus avant, plus arrière, plus haut, plus bas, je n’ai rien trouvé en matière d’évidentes ruines. Où sont-elles ? Je n’en saurai jamais rien. Retour vers l’est donc, vers le chemin conduisant au « collet belvédère ».

Ça grimpe raide mais, d’en haut, la vue en vaut la peine, avec la « tour des Opies », point culminant des Alpilles, entre Aureille et Eyguières (alt. 498 m.), se détachant sur l’horizon.

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Redescendant sur l’autre versant de l’arête, on arrive à l’oppidum des Caisses de Jean Jean. C’est un lieu d’habitat protohistorique et gallo-romain, occupé par les hommes vers les VIe - Ve siècles av. JC et jusqu’aux alentours de l’an moins 50. On y voit encore les bases de constructions et des fortifications qui fermaient la combe à l’ouest, le côté est étant naturellement protégé par la jonction des arêtes nord et sud.

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Si on s’intéresse à ces choses-là, on peut consulter le savant article de Yves Marcadal et Jean-Louis Paillet paru en 2011 dans la Revue archéologique n° 51, p. 27-62 (https://www.cairn.info/revue-archeologique-2011-1-page-27.htm).

Sinon, ou même si oui, on admirera ce cœur géant qui couvre la falaise dominant l’oppidum sur plus de vingt mètres de hauteur :

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Moi aussi, j'ai le cœur gros...

Bises.


d.