Par un beau jour estival de ce printemps, je m’en fus voir le village de Bonnieux et son vis-à-vis Lacoste, en Luberon, accompagné de mes trois guides (dont un quadrupattes) sachant à l’occasion faire office de maîtres étalons, au sens non-bestial du terme.
Bonnieux, touristique village sis à flanc de colline, contient le havre de la famille du mari d’une de mes favorites nièces par alliance, tandis que La Coste – car Lacoste était La Coste avant de prendre le nom d’un ancien tennisman –, tandis que La Coste donc, qui s’accroche aussi touristiquement à la colline d’en face, évoque les souvenirs de son ex-propriétaire, le divin marquis.
Bonnieux, comme Colombey, possède deux églises, l’« église d’en-haut », romano-gothique, et l’ « église du bas » ou « église basse » construite au XIXe siècle pour les fatigués qui ne voulaient plus monter en haut du village.
Pourtant, cette « église d’en-haut » (ou « église vieille »), plantée au sommet de la colline, est assez belle, comme ne le montre pas vraiment cette photo prise à travers une lentille déformante, seule ressource pour disposer d’une vue d’ensemble. Sa porte du XIIe, dont l’arc est souligné de motifs floraux, est surmontée d’un tympan orné d’un aigle :

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Mais, surtout, son site vaut le détour : un panorama dégagé jusqu’au Ventoux, et de somptueux cèdres de l’Atlas, probablement échappés de la plantation de la forêt de cèdres commencée en 1861 à quelques kilomètres de là :

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Un peu plus loin, poursuivant sur la crête de la colline, on arrive au « castellas » dont il ne reste que peu de choses, l’ancien castrum étant maintenant enfoui sous une pinède dont certains arbres se ressentent de l’effet du Mistral.

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Un puits, là, pourrait être un vestige du castrum disparu. On s’étonne de trouver un puits en haut d’une colline, l’eau
– par sa nature – cherchant plutôt les points bas. Un panneau explicatif de la Mairie de Bonnieux nous dit que ce puits central avait une profondeur « de 24 toises à l’origine (environ 46 mètres) ». L’altitude du site étant de 429 m et celle de la plaine d’environ 330 m, on peut juger que la poche d’eau se trouvait à mi-dénivelé (ou « dénivelée », c’est au choix) :

Le puits vu de dos et de face :

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Les sommités de Bonnieux sont agrémentées, outre l’église et le puits, par un calvaire de 1839 et par un oratoire, non daté mais probablement de même époque, l’un et l’autre couverts de legendæ (« choses à lire »), pour la plupart exprimées en latin d’église :

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Sur les stèles du socle du calvaire (ce serait vous faire affront de traduire) :
- ANNO JUBILÆI 1851 / DIE 16 NOVEMBRIS / Ô CRUC AVE
- IN MANUS TUAS / COMMENDO / SPIRITUM MEUM
- JUBILE / 3 MAI 1896 / INVENTION / DE LA STE CROIX
Nota : tous les 3 mai (date notoire par ailleurs), la fête de l’Invention de la Sainte Croix célébrait le 3 mai 326, date de la découverte de la sainte relique par Hélène, la mère de l’empereur Constantin, et par Macaire, l’évêque de Jérusalem (cf. Eusèbe de Césarée [265 ?-340], Historia ecclesiastica, I, 7-8, traduction du grec au latin par Rufin d’Aquilée [v. 340-410]).
Cette fête a été carrément supprimée en 1960 par le pape Jean XXIII. Il convient donc désormais de se reporter à celle de l’Exaltation de la Sainte Croix, qui a lieu le 14 septembre et commémore à la fois la présentation de la croix devant l’église du Saint-Sépulcre de Jérusalem construite par Constantin, le 14 septembre 335, et la reprise de la croix par l’empereur Héraclius en 628 après qu’elle ait été chouravée par les Perses quatorze ans plus tôt.
- et un monogramme que je ne sais pas déchiffrer (« JOI » ?) :

Bonnieux-Lacoste_8A.jpg suivi de la date 1839 (MDCCCXXXIX) : Bonnieux-Lacoste_8B.jpg

Sous le fronton de l’oratoire, deux citations bibliques, l’une du Cantique des cantiques (II:16 « Mon bien-aimé est à moi, et je suis à lui ») et l’autre de l’Ecclésiastique (c’est-à-dire le Livre de Ben Sira le Sage), extrayant trois fragments de 24:18 et 24:19, ou de 24:25 et 24:26 suivant les versions : « J’ai reçu toute la grâce…, en moi est toute espérance de vie… » et « Venez à moi, vous tous… » :
DILECTUS MEUS MIHI, ET EGO ILLI Cant . Cap 2
IN ME GRATIA OMNIS, IN ME OMNIS SPES VITÆ.
TRANSITE AD ME OMNES Eccles . Cap 24
Bernardin de Saint-Pierre, dans ses Études sur la Nature (Nouvelle édition revue et corrigée, Tome 2, Paris, Imprimerie de Crapelet, 1804, p. 64-65) propose une traduction moins littérale du chapitre 24 de l’Ecclésiastique dont je vous livre ici l’extrait, complété des manques : « C’est dans moi seule qu’on trouve un chemin facile et des vérités qui plaisent ; c’est dans moi que repose tout l’espoir de la vie et de la vertu. Venez à moi, vous tous qui brûlez d’amour pour moi… »


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Quittons Bonnieux pour rejoindre La Coste, qu’on voyait à l’ouest, sur sa colline.
« Et les étalons ? », me direz-vous. Patience, ils ne sont que guides, pour l’instant.
Tout en haut de La Coste se tiennent les ruines maintenant très civilisées et aseptisées du château de Sade, acheté par Pierre Cardin en 2001 avec une trentaine de maisons, pour y exposer et vendre de l’art. Une autre partie du village (trente-quatre maisons) est aussi occupée par la Savannah College of Art and Design, une université d’art privée américaine. C’est dire si Sade est loin, désormais.
Il y a quelques lustres, nous avions parcouru, ma Marie et moi, le haut village qui n'était encore qu'une suite de maisons en ruines d’où on accédait à un vieil escalier tournant entre des oubliettes avant d’aboutir au pied des restes spectraux du château. L’esprit extravagant du marquis y régnait encore, malgré les efforts d’un groupe de jeunes qui essayaient sans grande conviction d’arranger quelques pierres éboulées.

Du parking du château, on voit Bonnieux, par réciprocité :

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Tournant le dos à ce désormais infâme château, nous nous enfonçons dans la végétation qui couvre le plateau s’étendant en haut de la colline.

On longe de gros tas de grosses cordes où pousse la fleurette :

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puis une maison quelconque, squattée et abandonnée, en équilibre instable au bord d’un ravin, et on arrive à un grand trou (qu’avise un maître étalon, tandis qu’un autre s’y aventure. L'un et l'autre justifient enfin leur titre et leur fonction en fournissant magistralement des références qui permettent de juger des dimensions) :

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N’étant point équilibriste, je renonce à la descente et me fais guider, par un long contournement offrant des vues sur une partie de la mine annexée comme scène de spectacles :

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jusqu’au fond de cette carrière délaissée où des passages permettent d’aller d’une zone à l'autre :

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pour découvrir de l’art mural :

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et sculptural :

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qui laissent pensifs le critique d’art débutant qui roupille en moi, et mes guides étalons :

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Bises.


d.